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diumenge, 26 de novembre del 2023

Les fleuves immobiles. Voyage en pays papou, d'Stéphane Breton


Quadern de viatge intimista. No busquem les fites d'un recorregut. Somnis, percepcions, imatges, records. Els homes i els arbres d'un riu. Stéphane Breton, nascut el 1959, doctor en etnologia ha viatjat mesos pel riu Sepik, el més llarg de Nova Guinea.

La meva tria és del tot personal. M'agrada, no vol ser representativa, però em fa presents, gairebé tangibles els pensaments de l'autor durant el viatge per Nova Guinea i que podrien ser anàlegs en qualsevol altre viatge en condicions semblants i amb la mateixa actitud.


Les fleuves immobiles

Je ne suis pas un voyageur, je suis un voyeur sans âge.

*

Pour une fois, je me trouve digne d’intérêt. J’ai plaisir à m’écouter filer. Je laisse venir les choses à moi., j’attends, je ressens. Je fais tourner le monde sous ma langue comme un bonbon.

*

Le bruit : substance des villes indonésiennes, miel de l’animal humain, colle de ceux qui procréent sans vice.
D’abord des coups ; pas qui frappent le plancheur des pontons, font trembler les murs et resonnent sous les toits de tôle ; remue-ménage incessant ; choses qu’on déplace sans raison ; cosmogonie d’objets jetés. La ville étant bâtie sur une même planche, un homme qui titube à l’autre bout vous secoue dans votre lit. (…)
Des cri, des mots toujours criés, toujours trop forts. La parole se transforme en ordure qu’on évacue avec empressement, presque avec colère, comme un verset. À cela s’ajoute la musique que dès cinq heures du matin on entend couvrir tout, par l’effet d’une tyrannie de la mise en commun qui fait ne rien garder pour soi seul de ce qui peut être odieux pour les autres. (…)
La délicate petite mosquée de planches bleuies par le ciel, sortie d’un conte où nous sourit Sinbad, se transforme en une machine hurlante d’où se répandent des imprécations craintes par les pêcheurs asmat.
Au milieu de la nuit, dans la chambre à côte, un dormeur s’est fendu d’un grand râle d’animal blesse. Je crains le pire. Il ne va pas s’y mettre, lui aussi ! Puis il y eut le ricanement d’un voisin que l’obscénité de cette délivrance mettait en joie.
Au commencement était le bruit, le silence n’est venu que beaucoup plus tard, et à tâtons encore.
Cela écrit au petit matin, au moment de la pluie, mal réveille, furieux, l’esprit peuplé de rêves égorgés. Aujourd’hui je vais désespérer de pouvoir trouver jamais le calme et la solitude.

*

L’homme en rut est une magnifique bouteille remplie d’images. La femme est le raisin de mes doigts vignerons. Aimer est la cuve, ou le bouchon. L’affrèrement me dispense d’être docile, l’éclat de ma voix d’être seul.

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La dernière image que je garderai de l’Indonésie : celle d’une boîte, bien fermée, dans laquelle on essaierait un à un tous les bruits.

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Suivre la voie de mes certitudes impuissantes. Missionnaire pendant vingt ans. Je voudrais être capable d’attendre vingt années, immobile à l’ombre, sans craindre la sueur ni l’ennui qui dissout le temps. Peut-on vraiment devenir fou, à ne rien foutre ?

*

Ça y est ! nous sommes partis. Moi, la fièvre m’avait fait gagner quelques jours sur la pirogue. Est-ce nous qui prenons le fleuve, ou lui qui nous prend ?

Le vent bavard, le courant, je laisse filer mes doigts à la surface de l’eau. Il me faut dire, quan j’éprouve.

*

Je suis dans l’attente de quelque chose d’imprécis puis, reconnaissant que c’est absurde, je n’attends plus rien – et c’est encore pire. J’ai cru être importun.

*

Pieds du poète, poids de la tête.

*

Je fais à la terre, à la faveur de la nuit, un cadeau somptueux. Mai en allant me coucher, un doute horrible m’envahit : sans que je m’y fusse arrêté, en cet endroit précis, il aurait quand même poussé un arbre. À quoi bon l’homme ?

*

J’écris portant à l’ombre : je baigne dans ma sueur. Des mouches viennent baiser ma bouche. L’eau dégouline de mon front jusqu’à mon crayon, qui dépose une goutte entre chaque mot. Le papier boit ma sueur. Il retient un peu d’eau car il a soif : pour pousser sans doute, pour prendre racine et faire des feuilles. Peut-être plus tard un beau fruit, un livre si tout va bien. Ici tout pousse, même les hommes. 

*

La fumée de mon cigare assèche ma bouche. Ma bouche vide mon corps de son eau. Ainsi la gueule d’un chien haletant. Mon corps assèche la sueur qui oublie sur ma peau de petites couronnes de sel. Et j’ai soif. Ce soir il pleut. Suis-je la cause de toute cette eau ?

*

Un cochon dispute un coin d’ombre à une poule. Je n’ai jamais rien vu de plus  stupide. Ça me rappelle quelque chose, mais quoi ?

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La géométrie non euclidienne est une science incertaine : c’est dans le vol des lucioles qu’elle trouve sa raison d’être.

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Toujours ces gens qui nous attendent, suspendus, nous dévisageant : des pénitents silencieux, timides et fiers, arrêtes sur la berge. Je lève la main. Soudain, une foule de visages nous accompagne.

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Je ne me sens libre que lorsque j’ai de la corne aux pieds. J’ai toujours rêvé qu’un fleuve me fasse une belle plaie dans la main.




Localització i recorregut del riu Sepik a Nova Guinea.


L’âme côte face : hier. L’âme côté pile :  demain.

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Je suis reste trop longtemps assis, à lire et à apprendre. Je n’ai pour ainsi dire jamais travaillé. Je vais maintenant beaucoup marcher, et j’aurai le droit de m’assoupir à chaque étape. Je ne déteste rien tant que l’ennui causé par des pas inutiles. J’irai donc quelque part.

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Il m’arrive parfois d’être inquiet : jusqu’à quel point la Nouvelle-Guinée, ainsi que les lichens, a-t-elle pu à mon insu se métamorphoser en poème automatique ?

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On cueille au bord du chemin une feuille dont la coupe prêtera à l’eau du torrent une saveur doucereuse.

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Cette pluie qui me protège, ses bras de soie, la douceur de soirs, le monde qui n’enferme autre que moi, mon souffle sous la voûte d’une solitude fraîche et paisible – cette pluie qui me protège, je voudrais bien qu’il n’y eût plus qu’elle.

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La sueur des ouvriers d’un chantier a fait tourner le miel d’une ruche voisine. On aurait dit des fleurs. Chaque fois qu’ils sont dans les bras de leur dieu, les homes puent.

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Je suis une graine des déserts, je viendrai à la fleur quand tous aurons déjà séché.

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Leur forêt vierge : une maison dont la porte est fermée et la fenêtre ouverte.

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Je me suis exclu de toute forme de communication. Il ne me restera plus, pour être encore un animal social, que l’injure et l’accouplement.

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L’homme aussi est une flèche tendue vers la nuit. Il n’y peut mais : c’est cela qui l’accable.

*

Ce que la plaine consent de nous prêter, c’est un ciel, et la nuit : des étoiles qui, voyant une foule d’incertitudes cligner des yeux vers elles, font de même. Cet échange de politesses est inutile.
Car, je ne connais pas ces constellations béates, ignore le nord du sud, ne sais d’où vient le jour, ni passant par quels points il décrira son orbe, aime avant tout l’attente, dors avec les criquets, marche par entêtement.
Maintenant descendus, dans la sphère des envers nous sommes, et ce n’est plus de mesure dont nous avons besoin.
L’odeur de la terre mouillée s’élevé autour de nous.

*

Je sens ce pays qui me quitte comme une femme, qui se retire de moi, alcool des marées, ou moi d’elle, me laissant seul et désolé.
Comme il est haut, et ses nuages, le ciel de ma tristesse…

Les fleuves immobiles. Voyage en pays papou. Stéphane Breton. Calmann-Lévy. Diverses pàgines.




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